Alcool et tabac : le risque de l’engrenage
Une enquête, baptisée Europso, n’a fait que confirmer les observations des dermatologues : les patients atteints de psoriasis consomment davantage de tabac et d’alcool que la population générale. Difficile de savoir si cette consommation accrue est la cause ou la conséquence du psoriasis, mais il est sûr que le cercle vicieux qu’elle engendre ne fait qu’entretenir ou aggraver l’inflammation. A l’inverse, réduire sa consommation contribue à l’améliorer.
Si la tendance n’est pas prouvée, elle est bel et bien observée dans les cabinets des dermatologues : les patients psoriasiques présentent plus fréquemment des obstructions bronchiques lorsqu’ils sont fumeurs que les patients non psoriasiques. Cette tendance, la dermatologue Catherine Goujon peut en faire état après avoir mené plusieurs explorations fonctionnelles respiratoires chez des patients reçus en consultation à hôpital Edouard Herriot, à Lyon. Des explorations envisagées avant de mettre les patients sous méthotrexate, un traitement systémique du psoriasis. « Il est évident que le tabac n’est pas une bonne chose pour les patients atteints de psoriasis », commente-t-elle lors d’un entretien accordé à l’APM. « C’est un des facteurs environnementaux favorables à l’apparition et au maintien du psoriasis », voire à son aggravation. « La consommation de tabac est aussi liée à l’émergence de complications pouvant devenir dans certains cas extrêmement invalidantes », ajoute la dermatologue en faisant référence au psoriasis pustuleux, également nommé pustulose palmoplantaire qui se caractérise par des lésions se développant en particulier sur la plante des pieds et engendrant alors, au niveau des appuis, des douleurs difficilement supportables. La consommation de tabac est observée chez 75 à 95% des patients atteints de cette complication.
Selon l’étude Europso, une vaste enquête menée en 2002 dans sept pays européens, 12% des personnes atteintes de psoriasis considèrent avoir augmenté sensiblement leur consommation de tabac. Ils affirment également que cette hausse s’accompagne d’une consommation plus fréquente d’alcool. La population psoriasique est traditionnellement « ethylotabagique », confirme le Dr Goujon. En compensation d’un mal-être, entretenu par une image perçue comme dégradée de son corps, et pour contrer l’anxiété, les patients les plus touchés peuvent en venir à chercher le plaisir dans des consommations addictives qui, par ailleurs, tendent malheureusement à accentuer leur pathologie. « Le risque est de tomber dans un cercle vicieux » dont il est difficile de sortir, souligne la dermatologue. Les observations en cabinet, complétées par les résultats de quelques études, confirment dans tous les cas que le tabac, tout comme l’alcool, aggrave le psoriasis. Autre observation : les patients qui voient leur psoriasis s’atténuer sont plus disposés à réduire leur consommation de tabac et d’alcool. L’amélioration de la physiologie de leur peau n’en est alors que plus évidente, rapporte la dermatologue.
Parmi les études qui ont établi un lien entre le psoriasis et le tabac, celle publiée en 2008 dans les annales de dermatologie évoque un risque de développer un psoriasis multiplié par deux lorsque la consommation dépasse les 15 cigarettes quotidiennes. Comme pour l’alcool, il semble que la relation entre la consommation de tabac et le développement du psoriasis soit dose-effet, sans lien avec le sexe de l’individu. Une autre étude, publiée en 2007, a permis d’évaluer ce lien sur le long terme grâce au suivi pendant 14 ans d’une cohorte américaine de plus de 78.000 infirmières. Au terme de ce suivi, il s’est avéré que 900 d’entre elles ont développé un psoriasis. L’analyse des données a permis de démontrer que le tabagisme augmente significativement le risque de survenue du psoriasis, et de manière plus marquée chez les fumeuses actives que chez les anciennes fumeuses. Ce risque s’accroit avec la durée et l’intensité du tabagisme, et diminue avec la durée du sevrage. Ainsi, en rapportant la consommation sur une seule année, le risque de psoriasis est multiplié par 1,6 pour une consommation de 11 à 20 paquets par jour sur un an. Au delà, le risque est supérieur à 2. A l’inverse, le risque diminue de 1,6 chez les infirmières ayant arrêté de fumer depuis moins de dix ans et de 1,3 entre 10 et 19 ans. Le risque relatif rejoint celui des non-fumeurs 20 ans après l’arrêt de la cigarette.
En ce qui concerne l’alcool, aucune étude ne démontre réellement un lien avec le psoriasis. Mais les observations cliniques rapportent une augmentation de l’étendue des plaques et globalement une aggravation du psoriasis chez les patients présentant une consommation excessive d’alcool. L’alcool a tendance à provoquer un assèchement de la peau accentuant ainsi les démangeaisons, ce qui peut favoriser le phénomène dit de Koebner. Celui-ci se caractérise par l’apparition au niveau d’une égratignure de nouvelles poussées de psoriasis. « La consommation d’alcool est également déconseillée lorsque le patient est sous traitement pour éviter les interactions et par conséquent, le risque d’effets secondaires » affirme le Dr Goujon. Sans compter que l’alcool peut diminuer l’efficacité des traitements et qu’il est associé à une mauvaise observance, c'est-à-dire à des négligences dans le suivi des thérapies. « C’est un sujet auquel nous sensibilisons nos patients. En cas d’addiction avérée ou de consommation très excessive, ils sont dirigés vers des médecins spécialisés en addictologie pour une prise en charge adaptée », souligne la dermatologue.
À l’hôpital Edouard Herriot de Lyon, tabac et alcool feront partie des thèmes abordés lors des séances d’éducation thérapeutique qui débuteront pour la première fois cette année, d’abord au cours d’un entretien individuel, puis en séance collective. « L’objectif n’est pas pour autant de soigner l’addiction des patients. Il ne s’agit pas d’attaquer sur tous les fronts », précise le Dr Goujon. « Il faut être réaliste, aucun patient ne suivrait dans ces conditions. Soigner le psoriasis reste la priorité. Il y a ensuite tout intérêt à orienter le patient vers des conduites plus vertueuses qui pourront les amener à mieux se prendre en charge », conclut-elle.
Auteur : Vincent Richeux, de l’Agence de presse médicale APM Santé